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ECTS et formation de formateurs

lundi 27 octobre 2003, par Poizat Denis


Denis Poizat, Maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2 Denis.Poizat@univ-lyon2.fr

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La formation de formateurs a-t-elle à voir avec les European Credit Transfer System ? Cette formation peut-elle être académique ? S’agissant de la formation de formateurs d’enseignants, cela peut apparaître comme une évidence, tant le parcours enseignant, depuis la tâche du praticien jusqu’à celle du cadre formateur est balisée par le parcours universitaire, requis tout au moins dans le cadre français. Mais dès lors qu’on situe la formation de formateur dans un contexte excédant la formation spécifique des enseignants du secteur public français, les évidences tombent. Cette intervention consiste alors en un éclairage nourri par le monde du travail hors du champ de l’enseignement, sans l’exclure totalement. Si, en France, on considère qu’environ 100 000 personnes travaillent dans le domaine de la formation, une partie seulement est concernée par les ECTS. Le monde économique, régulé " par la concurrence pure et parfaite ", serait en mesure de générer ses propres standards y compris dans le domaine de la formation et l’on aurait, dans cette optique, affaire à une multitude de parcours de formateur de formateur. Le profil des formateurs de formateurs est en constante évolution. Celui-ci, après avoir été longtemps le domaine quasi réservé de la pédagogie et de la didactique, s’est élargi à d’autres pôles : gestion et planification de la formation, ingéniérie, attention portée aux publics spécifiques ou encore à la diversification des supports et des technologies de l’information et de la communication… Enfin, on peut raisonnablement affirmer que l’offre et la demande de formation de formateurs s’est diversifiée dans les dernières décennies. La certification de la formation de formateur peut être à plus ou moins grande distance du processus de comparabilité et d’harmonisation proposé par le système ECTS.

Aux origines des ECTS

Il faut attendre 1993, à l’occasion du traité de Maastricht, pour voir l’éducation apparaître de manière explicite dans les objectifs communautaires. Avant cela, le traité de Rome qui trace en 1957 pour l’espace européen les vastes perspectives tant politiques qu’économiques ignore l’éducation. Son article 128 vise la mise en œuvre d’une politique commune de formation professionnelle, avec une distinction importante entre

- la reconnaissance des diplômes à des fins professionnelles (articles 52 et 57 du Traité) dans le cadre de la liberté d’établissement au sein de ce qui s’appelait alors la C.E.E., dans le cadre également du développement d’un vaste marché compétitif de l’emploi.

- la reconnaissance des diplômes à des fins académiques (article 126 du Traité), visant une meilleure mobilité étudiante et enseignante.

Cette double visée initiale échappe aujourd’hui souvent aux analyses qui ne retiennent généralement que la reconnaissance académique des diplômes.

Dans le cadre de la reconnaissance des diplômes à des fins professionnelles, il a fallu très tôt, pour garantir le libre établissement des personnes exerçant une profession au sein des différents pays de la communauté, assurer la convergence avec différents diplômes professionnels. Les médecins, en 1975, les infirmiers en 1977, les chirurgiens dentistes en 1978, les sage-femmes en 1980…les processus de reconnaissance, basés sur une analyse critériée approfondie sont apparus trop longs : 16 ans pour les architectes et 18 ans pour les pharmaciens. Le Conseil européen de Fontainebleau supprima donc en 1984 ce système ingérable au profit d’un autre dispositif basé sur la confiance mutuelle (directives 89/48 /CEE du 21.12.1988 et 92/51/CEE du 18 juin 1992), pour les formations inférieures à trois ans. Cette reconnaissance n’intervient que pour les professions dites " réglementées ". Il s’agit ici d’une présomption de capacité professionnelle qui suppose d’une part que la profession en question existe d’ores et déjà dans le cadre national et d’autre part qu’existe un cadre législatif le concernant. La profession de formateur de formateur entre rarement dans ce cadre au sein des pays de l’OCDE ou de l’espace politique européen.

S’agissant ensuite de la reconnaissance académique des diplômes et des périodes d’étude, Dès 1984, sont mis en place les réseaux NARIC (National Academic Recognition Centers) l’origine des ECTS est à trouver au sein d’un modèle américain, baptisé European Community Course Credit Transfer System. La rigidité reconnue du système de reconnaissance académique des diplômes, après une période d’observation, a été assouplie en 1997. Le système a été élargi à ce qui peut être qualifié de code de bonnes pratiques visant la facilitation du processus qu’il est convenu d’appeler processus de Bologne. En effet, la Déclaration de la Sorbonne en 1998, de Bologne en 1999, la rencontre de Salamanca en 2001 et la Conférence de Prague en 2001 ont conduit les pays européens à un engagement consistant à mettre en place une architecture commune de formation au sein de l’enseignement supérieur. L’adoption d’un système de diplômes facilement lisibles et comparables (avec l’annexe dite " supplément au diplôme "), le choix d’un système fondé essentiellement sur deux cursus s’articulant au niveau de la licence et la mise en place d’un système de crédit visent certes une meilleure mobilité enseignante et étudiante, mais également une meilleure coopération européenne en matière d’évaluation de la qualité. Les crédits, exprimés sous forme de valeur numérique, sont affectés à une unité d’enseignement ou à une unité constitutive d’une unité d’enseignement, en fonction du volume d’activités requis pour l’étudiant, et pas seulement, par rapport à un volume d’heures d’enseignement, capitalisables et transférables, octroyés à l’étudiant qui a satisfait aux conditions de validation, applicables à toutes les activités d’enseignement, y compris stages, mémoires, projets et travail personnel…, à toutes les formes d’enseignement (présentiel, ouvert, à distance, en ligne…), proposé à tous les publics : formation initiale et continue, adapté à tous les rythmes d’apprentissage.

A priori, rien, ou pas grand chose des ECTS, n’impacte la formation de formateurs. On observe cependant que si la formation de formateurs est assurée par les universités dans les pays de l’Union, elle est alors, comme les autres formations professionnelles, affectée par le système ECTS.

Quelques questions simples se posent alors, parmi celles-ci, à quelle hauteur d’équivalence universitaire peut-on, doit-on, situer la formation de formateur ? Si la formation de formateur n’est pas dispensée, comme cela arrive souvent, au sein de l’université, qu’en est-il, alors, de la formation continue dont on voit qu’elle est, elle aussi, concernée par les ECTS…

A travers la validation des acquis professionnels, ce sont aussi les compétences déployées par des individus chargés pour un temps plus ou moins long d’assurer la formation de formateurs qui posent question. Ces compétences, acquises parfois en dehors de tout cheminement universitaire ou académique, peuvent-elles se faire reconnaître ? Voilà au moins quelques questions qui, si elles ne sont pas centrales, réclament réponse.

ECTS et Formation de formateur : un miroir tendu à des mondes cachés.

Pour ne prendre que l’exemple français, le monde de la formation a sa filiation dans le domaine industriel, celui de la fabrication, de la production de biens, davantage que dans l’institution éducative. L’école éduque, l’usine forme. Tel pourrait être le raccourci.

Le terme de formation n’apparaît d’ailleurs que de manière tardive dans le vocabulaire francophone. En France, c’est vers 1908, dans le registre militaire qu’il livre son sens commun, son acception pédagogique ne se révélant que dans les années 1960. Il reste que dans son origine industrielle, deux sous-mouvements peuvent assez aisément être discernés : des objectifs syndicaux et associatifs qui gravitent autour du monde du travail, ou de l’absence de travail, et des objectifs intimement liés aux impératifs d’amélioration de la production industrielle. Cette double perspective transparaît encore aujourd’hui dans les systèmes de formation français.

Dans ces deux perspectives, la formation de formateur répond à des exigences de certification. Il apparaît que si l’université joue un rôle considérable en France dans la pensée sur la formation, elle n’en possède pas pour autant l’unique expertise, loin de là. La césure entre monde universitaire et monde de l’entreprise n’est plus aussi nette, plus aussi tranchée qu’avant, pas plus du reste que ne l’est celle qui voudrait séparer formation initiale et formation continue. On constate d’ailleurs, tant dans l’univers de la formation professionnelle que dans celui de l’université une difficulté à vivre cette forme d’écartèlement entre orthodoxie formative et hétérodoxie formative. On aimerait que les domaines soient clôturés, que se dessinent des insularités, il n’en est rien. Nous sommes bien au royaume de l’anomie. La formation de formateur se trouve nageant dans cet apparent désordre, ni totalement du côté universitaire, ni radicalement rangée du côté de l’entreprise. La création des universités d’entreprise irrite les universitaires tandis que le monde de l’entreprise disqualifie volontiers le discours universitaire…

Envisager le rôle des ECTS dans le processus de certification des formateurs de formateurs a au moins le mérite de mettre à découvert certains points restés implicites. L’identité professionnelle des formateurs de formateurs, la question de leur métier, celle enfin de l’institutionnalisation de ce que l’on peut, peut-être, appeler la profession de formateur de formateur me semblent être ces points nodaux auxquels les ECTS tendent un miroir.

L’identité professionnelle du formateur de formateur peut être prédicative, revendiquée et n’avoir rien à voir avec l’identité réelle. Les travaux consacrés à la question (ceux de Marguerite Altet notamment, de Claude Dubar également) montrent à quel point cette identité est appelée mais avec quelle difficulté elle est décrite. C’est que pèse l’héritage : celui du formateur pédagogue, accroché à la doctrine formative, comme l’instituteur à son credo pédagogique. Le formateur de formateur opère nécessairement cette forme de transaction entre l’identité héritée et celle qu’il vise, et qu’il façonne à grands renforts d’étayages certificatifs…qui dépassent d’ailleurs de très loin les visées pédagogiques. L’identité professionnelle des formateurs de formateurs semble en même temps s’attacher à une double identification. La première est tournée vers des catégories professionnelles d’appartenance qui lui paraissent légitimes, sécurisantes ou attractives (monde enseignant, universités…) ou encore à des institutions qui peuvent légitimer et structurer la profession. Or, on peut observer clairement que ni l’une ni l’autre des formes identitaires trouvent leur épanouissement. Y-a-t-il alors un tel obstacle à fédérer une identité professionnelle collective au formateur de formateur ?

Le formateur de formateur semble pourtant remplir les conditions d’une identité professionnelle claire. Bernard Charlot relève que les conditions de l’avènement d’une identité professionnelle claire tiennent à la présence des éléments suivants : une base de connaissance (elle existe), une pratique en situation (elle existe aussi), une autonomie (il n’est pas sûr que ce point se passe de discussion, la création de ses propres règles et de ses propres codes semble bien être une difficulté de toute profession émergente), une responsabilité personnelle et l’adhésion à des normes collectives. On peut supposer que la difficulté à cerner clairement l’identité professionnelle du formateur de formateur tient, comme l’observe Lise Demailly à propos des enseignants, que les formateurs de formateurs sont face à un changement de rationalité de leur propre profession.

En analysant le métier de formateur de formateur, j’emprunte trois questions simples à Descolonges, simples, mais fondamentales.

  • La première : quelle est l’œuvre ? Qu’est-ce que je construis, quel est " l’output " de mon travail ?
  • La seconde : Quelle est l ’action ? Quels sont les dispositifs que je mets en place, comment j’agis pour cela, quelles sont les procédures ?
  • La troisième : Quel est le travail ? Le travail, au sens matérialiste du contrat, d’échange de la force laborale contre une rétribution. Comment me reconnaît-on, que vaut mon travail, au sens le plus trivial du terme.

Le formateur de formateur produit l’appropriation de compétences décrites (pédagogiques, didactiques, de gestion…), il agit pour cela en organisant des dispositifs et il est généralement payé pour cela par un tiers. Pas trop de difficulté donc à répondre à ces questions.

Il reste que la question du métier peut être recentrée autour d’une tradition plus ancienne. Dans l’ Europe du moyen âge, la création des corporations signifia aussi la discipline d’un corps " pour garantir la compétence juridique, la permission d’exercer, de défendre son monopole et ses privilèges dans l’intérêt du bien commun ". On associait à cela les métiers jurés. Pour détenir le métier, il fallait prêter serment et respecter au moins trois règles : garder les secrets, porter honneur à la profession et respecter les jurés. On le voit, le métier est aussi basé sur une culture, une histoire et des récits. Quels sont les récits des formateurs de formateurs ? A Lire la littérature qui les concerne, on découvre que leurs récits sont trop souvent ceux du doute, voire du soupçon vis à vis de soi. En quittant la légende pédagogique pour rejoindre les illusions de l’igéniérie pédagogique, les formateurs ont peut-être, c’est une hypothèse, rejoint le marasme identitaire.

Alors, constatant la fragilité de la profession, on s’intéresse à sa possible installation dans un statut, à son institutionnalisation. Cette dernière est fragile. Des raisons internes aux institutions peuvent être évoquées. Pour qu’il y ait institutionnalisation, il faut qu’il y ait sanction et exclusion possible. Or, qui peut dire aujourd’hui en France, et ailleurs, qu’existe un numérus clausus de formateur de formateur ?… On s’autoproclame plus facilement formateur de formateur que bijoutier, charcutier ou paysan. Mais pour qu’il y ait institutionnalisation, il faut aussi qu’existe un corps de savoirs livresques : la littérature est abondante dans le domaine. Un corps de savoirs livresques désigne aussi chartes, codes de bonnes pratiques, référentiels de compétences jusques et y compris code de déontologie. Lorsque les chirurgiens se sont séparés des barbiers, c’est à la fois le résultat et le processus de la mise en œuvre d’un code de déontologie écrit. L’ordre des médecins, celui des enseignants ou infirmiers au Québec procèdent de cette capacité de la profession à construire ses propres matrices professionnelles.

Ensuite, ce sont des raisons externes qui doivent être énoncées : pour qu’il y ait institutionnalisation, il faut que l’institution d’accueil soit souple, plastique. Les institutions évoluent et lorsqu’elles le font, c’est souvent grâce à la marge. La miscibilité entre norme et marge témoigne du caractère instituant des systèmes nomades. La profession de formateur de formateur se trouve encore dans cette situation paradoxale, se réclamant de plusieurs dispositifs de reconnaissance et de certification, elle vagabonde entre entreprise et secteur public, entre secteur universitaire (dont les ECTS ne sont que le pâle reflet) et le secteur plus ou moins formalisé d’une forme d’auto-certification industrielle. Une autre raison externe tient à la reconnaissance sociale plus ou moins élevée de la profession, notamment en terme de responsabilité professionnelle : qu’en pense-t-on communément ? Lorsque une profession ne suscite aucune fantasmagorie ou ne renvoie qu’à une image faible de la responsabilité (le chirurgien, l’ingénieur ne manquent pas de le faire), son caractère de rareté ne suffit pas à le rendre " réglementable ".

Ces trois points, identité professionnelle, métier et institutionnalisation sont révélés par les problèmes posés dans cette réflexion sur la certification. Au niveau national, en France, on a dénombré une multitude d’acteurs de la formation qui se partagent en ordre d’importance, notamment de chiffre d’affaire annuel, entre le secteur privé lucratif, le secteur privé non lucratif, le secteur public et para-public. Le marché de la formation est largement occupé par le secteur privé qui produit ses propres standards de qualité et parfois de certification. Ces officines privées constituent un premier pôle référentiel, le secteur public produisant les siennes, au sein des différentes administrations. Ces deux pôles se nourrissent eux-mêmes, parfois, des normes tirées de l’organisation internationale de normalisation ISO. Mais surtout, au delà de la problématique des ECTS dans la certification, on doit s’interroger avec vigueur sur ce qui constitue aujourd’hui un pôle d’expertise international dans le domaine de l’éducation et de la formation. La Banque Mondiale, l’OCDE, l’Union Européenne et déjà l’OMC ont dans le domaine de la formation des visées extrêmement précises même si ces dernières ne sont nécessairement pas convergentes. La perspective internationale, et nous sommes bien là au cœur des ECTS, requiert un décentrement qui n’est pas de l’ordre de la comparaison avec d’autres cadres nationaux mais la mise en résonance de normes et de standards décrits par les organisations internationales. Aussi, penser la certification de formateur de formateur au niveau international exige-t-il de sortir des diplômes nationaux.

En conclusion

Si la certification à la française montre ceci : le Ministère de l’éducation nationale délivre 70% des certifications reconnues sur le territoire, le reste des certifications, notamment dans le domaine de la formation du secteur privé, révèle une véritable course à l’habilitation par les autorités académiques françaises. Il n’est pas sûr que la formation de formateur n’ait rien à voir avec les ECTS, elle a, cependant, à se tenir à proximité des multiples pôles de référence qui l’entourent et la tiraillent. L’offre universitaire ne peut totalement contrebalancer l’offre privée, celle du Conservatoire National des Arts et Métiers, celle de l’AFPA, seuls organismes à avoir su développer dans leurs propres réseaux les certifications internes de formateur de formateur.

Bibliographie indicative

  • Altet M., Paquay L., Perrenoud P. Formateurs d’enseignants, quelle professionnalisation, Bruxelles, De Boeck, 2002
  • Allouche-Benayoun J., La fonction formateur, Paris, Dunod, 1993
  • Descolonges M. , Qu’est-ce qu’un métier ?, Paris, PUF, 1996
  • Santelman P., " La formation professionnelle, nouveau droit de l’homme ? ", Paris, Gallimard, 2001

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