Lors d'une discussion récente sur l'éducation à l'Académie française ..... Séance solennelle « Les nouveaux défis de l’éducation » Mardi 1er mars 2011

Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître.
Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ?
- I -
- Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n’a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En
1900, la majorité des humains, sur la planète, s’occupaient de labourage et de pâturage ; en
2010, la France, comme les pays analogues au nôtre, ne compte plus qu’un pour cent de
paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus immenses ruptures de l’histoire, depuis le
néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture change.
Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n’habite plus la
même Terre, n’a donc plus le même rapport au monde. Il ou elle ne voit que la nature
arcadienne des vacances, du loisir ou du tourisme.
- Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs.
Mais il est devenu sensible aux questions d’environnement. Prudent, il polluera moins que
nous autres, adultes inconscients et narcissiques.
Il n’a plus le même monde physique et vital, ni le même monde en nombre, la démographie
ayant soudain bondi vers sept milliards d’humains.
- Son espérance de vie est, au moins, de quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses
arrière- grands-parents s’étaient juré fidélité pour à peine une décennie. Qu’il et elle
envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents
héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs.
Ils n’ont plus la même vie, ne vivent plus les mêmes âges, ne connaissent plus le même
mariage ni la même transmission de biens.
- Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n’ont jamais connu de
guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant des progrès de la médecine
et, en pharmacie, des antalgiques et anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement
parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ?
Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait à des exercices destinés à supporter une
douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde.
Ils n’ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut ni ne put leur inspirer
une morale adaptée.
- Alors que leurs parents furent conçus à l’aveuglette, leur naissance fut programmée.
Comme, pour le premier enfant, l’âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les
enseignants ne rencontrent plus des parents d’élèves de la même génération.
Ils n’ont plus les mêmes parents ; changeant de sexualité, leur génitalité se transformera.
- Alors que leurs prédécesseurs se réunirent dans des classes ou des amphis homogènes
culturellement, ils étudient au sein d’un collectif où se côtoient désormais plusieurs religions,
langues, provenances et moeurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de
règle depuis quelques décennies. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter
l’ignoble « sang impur » de quelque étranger ?