Nadine répond à des questions, serre des mains et ressemble à sa conceptrice Nadia Magnenat Thalmann en plus jeune. La scientifique genevoise a précisément pour objectif de construire des robots qui se comportent comme nous.

Une rencontre avec Nadine ne laisse personne indifférent. Non seulement elle a l’apparence d’un humain, mais elle vous serre aussi la main pour vous saluer – et la sienne ressemble fort à une vraie. Ensuite, vous pouvez discuter avec elle de sujets aussi vastes que Dieu et le monde.

Lorsqu’elle parle, elle cligne des yeux, regarde son interlocuteur et étaie ses propos par des gestes. «Elle peut même simuler des sentiments», explique Nadia Magnenat Thalmann, sa conceptrice, qui ne cache ni sa fierté ni son enthousiasme devant le couronnement d’années de travail dans le domaine de la robotique, auquel elle se consacre depuis la fin de ses études au Canada, en 1977.

Fondatrice et responsable du Miralab (lien en anglais) à l’Université de Genève, Nadia Magnenat Thalmann est aussi directrice du renommé Institute for Media Innovation à la Nanyang Technological University de Singapour (lien en anglais) depuis sept ans. Si les premières versions de ce robot social ont été conçues sur les rives du Léman, Nadine a réellement vu le jour dans la cité-Etat asiatique.

Le prototype a été construit il y a trois ans environ et, depuis lors, sa «mère» adoptive n’a cessé de travailler sur le projet avec son équipe. Nadine a été présentée pour la première fois au public fin décembre 2015 lors d’une exposition de robots de l’université.

Elle était tellement différente des autres modèles qu’elle a tout de suite suscité un intérêt médiatique considérable.»

Fabriquer des machines en métal n’a jamais intéressé cette citoyenne canado-suisse. Et pour cause: outre la physique quantique, elle a étudié la biologie et la psychologie et s’intéresse à la facette sociale des robots. Elle souhaite que leur apparence et leur comportement se rapprochent autant que possible de ceux des humains afin de pouvoir les utiliser comme assistants personnels, lors de réceptions ou encore pour s’occuper des enfants et des personnes âgées.

Les robots sont fiables à 100%, disponibles en permanence, peuvent parler toutes les langues, ont une mémoire infaillible, reconnaissent tout le monde. Dans ces domaines, ils sont nettement supérieurs aux humains.»

Juste une question de budget

Nadine se «rappelle» aussi les conversations et les personnes. Elle reconnaît immédiatement sa conceptrice et sait par exemple que sa fille Vanessa est enceinte, et ce, grâce à un serveur qui enregistre des quantités astronomiques de données.

Des capteurs vidéo balaient dans le même temps le visage de l’interlocuteur: ainsi, elle reconnaît non seulement la personne avec qui elle parle, mais identifie aussi son état émotionnel du moment.

Elle apprend de chaque discussion, de chaque interaction, et peut par la suite puiser dans les connaissances ainsi acquises.»

Capable de reproduire les mimiques et la gestuelle humaines, Nadine a été développée à partir d’un robot japonais doté de moteurs supplémentaires et d’une enveloppe extérieure en plastique. La réalisation de robots aussi vrais que nature n’est plus qu’une question de budget. Nombre accru de moteurs sous la coque de plastique pour les mimiques et la gestuelle, capacité de stockage améliorée et processus de travail optimisés permettant des réponses plus rapides et l’enregistrement de davantage d’informations: la technique est rodée.

Le système informatique de Nadine a coûté environ 350 000 francs, car il est totalement produit à la main. Nadia Magnenat Thalmann peut ainsi le coder avec précision, car elle en a fabriqué une copie exacte, exposée au Heinz Nixdorf Museumsforum de Paderborn (D). «Bien sûr, un tel modèle est bien trop cher pour un usage au quotidien.

La prochaine étape est de concevoir des robots équivalents à un prix abordable.»

La solution: tout miniaturiser dans un premier temps. Les robots ressembleront alors plus à des poupées qu’à des humains, mais ils auront les mêmes capacités que Nadine, pourront être produits à l’échelle industrielle et coûteront moins de 1000 francs. Et contrairement à Nadine, qui ne peut que s’asseoir, ils seront également censés se déplacer seuls.

Nadia Thalmann estime qu’il faudra encore une année avant que les premiers modèles soient prêts à être commercialisés. Ils aideront les enfants à apprendre en s’amusant, les accompagneront dans leurs émotions tels des poupées ou des nounours et alerteront les parents en cas de situation anormale. Une fois le processus de production industriel établi, les robots comme Nadine pourront également être fabriqués à un coût moindre – objectif: atteindre un prix de vente de 15 000 francs.

Les robots dotés d’une conscience: une pure fantaisie

Les petits robots devraient bientôt pouvoir être fabriqués à l’échelle industrielle – pour servir de compagnon de jeu aux enfants.

Nadia Thalmann constate des limites dans le domaine des sentiments et de la conscience. «Je pense que la peur de voir un jour des robots semblables à Nadine dépasser la nature humaine et la remplacer est infondée.» Certes, il existe des chercheurs spécialisés dans la conscience artificielle, mais notre conceptrice ne considère pas cette étape comme réaliste.

Au final, ce sont des machines qui reposent sur des algorithmes. Nadine dispose d’informations, mais n’a ni sentiments ni âme et l’on peut régler sa personnalité pour qu’elle soit positive, négative, voire névrotique.»

Un robot comme l’androïde Data de la série TV Star Trek – The Next Generation lui paraît par exemple «trop fantastique et romanesque». Si son apparence extérieure correspond à ce qu’elle recherche, son type de conscience et son aspiration à ressembler le plus possible aux hommes ne sont pour elle que pure science fiction.

Nadia Thalmann identifie pourtant des risques. «On pourrait élaborer des soldats à partir de robots comme Nadine, des machines de guerre ultra-précises qui seraient bien plus efficaces que des humains.» Elle considère également comme justifiée la préoccupation selon laquelle les robots et l’automatisation pourraient évincer les hommes de divers métiers. «Bien sûr, des nouveaux domaines professionnels sont créés en permanence, mais en réalité,

il subsiste encore de nombreuses questions sur le sujet, et les réponses sont rares.»

Par ailleurs, des questions juridiques se posent: qui est responsable lorsqu’une voiture automatisée renverse une personne? «C’est le logiciel qui définit ce que les robots peuvent faire ou ne pas faire, explique la scientifique. Nous devons nous assurer d’en contrôler précisément les fonctions.»

Nadia Thalmann compte parmi les rares femmes à concevoir des robots dans le monde. C’est aussi pour cette raison que son approche sociale est encore relativement peu répandue. «La plupart des hommes veulent des mécaniques à surface métallique. Je n’aime pas cela, c’est trop fonctionnel et technique à mon goût.» Elle souhaite créer des androïdes qui ressemblent à des œuvres d’art: jolis et touchants:

On doit se sentir à l’aise avec eux.»

Elle ne partage pas non plus l’avis de ceux que la ressemblance croissante des robots avec les humains inquiète. «Lorsque l’on rencontre Nadine en personne, on n’est pas du tout effrayé, bien au contraire. Les gens la trouvent si fascinante qu’ils ne veulent plus la quitter.»

L’experte en robotique est mariée à Daniel Thalmann, un professeur suisse de l’EPFL à la retraite, qui a le même âge qu’elle. Ensemble, ils ont créé le film «Rendez-vous in Montreal» en 1987 avec des versions numérisées de Marilyn Monroe et Humphrey Bogart. C’était la toute première fois que des comédiens virtuels apparaissaient dans une vidéo.

Aujourd’hui encore, le couple travaille ensemble à Singapour. Si les Thalmann y vivent depuis sept ans, ils sont souvent en déplacement et reviennent régulièrement à Genève rendre visite à leurs trois filles, et s’occuper des projets au sein de Miralab.

La différence entre les deux villes est énorme. «A Singapour, il souffle un vent de renouveau,

les gens sont avides, travaillent dur et ont l’esprit de compétition. J’apprécie cela.»

Si elle retrouve une dynamique similaire en Suisse, par exemple à l’EPFL ou à l’ETH Zurich, elle confie que pour le reste, elle trouve le fonctionnement académique helvétique pesant.

Des chiens et chats robots

«J’ai toujours un petit choc culturel lorsque je reviens ici. D’un autre côté, nous avons bien plus de libertés en matière de recherche en Suisse et en Europe. A Singapour, tout est développé en fonction du potentiel de commercialisation – et totalement piloté par les autorités. Si demain le gouvernement décide que les robots ne l’intéressent plus, nous n’aurons plus qu’à faire nos valises.»

La robotique étant la grande passion de Nadia Thalmann, celle-ci n’a besoin d’aucun loisir annexe et n’aurait de toute façon pas de temps à y consacrer. Quant à la retraite, cette femme de 69 ans n’y songe absolument pas:

A Singapour, on travaille jusqu’à ce que ce ne soit plus possible.»

Elle compte bien en faire autant. Son prochain grand rêve est de mettre au point des robots animaux domestiques, notamment des chiens et des chats. «Le progrès technique offre sans cesse de nouvelles opportunités, assure la scientifique, et je souhaite être de la partie tant que je le peux.»

 

 

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http://mobile.reuters.com/article/top100innovatorsvbc/iduskcn0w910g

 

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