Le Matin13 Nov 2016Frédéric Vormus frederic.vormus@lematindimanche.ch  Industrie

 

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Siegfried Gerlach: «Nous voulons attirer les jeunes femmes en les intéressant aux métiers de l’industrie.»

 

Sigi Gerlach, le directeur de Siemens, voit dans la digitalisation une chance pour la Suisse.

 

«Les usines seront des lieux de hautes technologies avec beaucoup de machines intelligentes, des robots et peu d’humains mais qui seront très bien formés » Siegfried Gerlach, directeur général Siemens Suisse

 

Le groupe industriel allemand Siemens est présent depuis plus de 120 ans en Suisse. Actives dans l’énergie, la mobilité, les technologies médicales ou les techniques du bâtiment, ses sociétés emploient plus de 5300 personnes sur plus de 20 sites, ce qui en fait l’un des principaux employeurs industriels du pays. Depuis quelques années, le secteur secondaire souffre. Si le chiffre d’affaires de Siemens Suisse est resté stable, les défis que devra relever Siegfried Gerlach, son directeur général depuis 2008, sont importants. Ils portent sur la digitalisation et la formation. L’avenir de la place industrielle suisse se joue aujourd’hui, et en tant que membre du comité de Swissmem, la faîtière de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux, le dirigeant le sait parfaitement.

Etes-vous satisfait des résultats de Siemens présentés jeudi?

Le groupe a vécu l’un des meilleures années de son histoire avec un chiffre d’affaires en progrès de 5%, qui a atteint 79,6 milliards d’euros. En Suisse, il faut distinguer les activités de Siemens de la société anonyme Siemens Suisse, que je dirige. En Suisse, Siemens a enregistré une croissance modérée, passant de 2,127 milliards à 2,162 milliards. En revanche, les divisions que je dirige ont connu un recul de 131 millions de francs. Ce résultat est trompeur puisque nous avons séparé, l’an passé, nos activités dans la santé du reste de la société pour en faire une structure indépendante. A périmètre constant, nous avons donc crû de 1% durant l’exercice passé.

Vous semblez néanmoins satisfait.

Je tire en effet une certaine satisfaction à avoir réussi à croître de 1% dans cet environnement peu favorable. De nombreuses petites et moyennes industries voient leurs revenus reculer. Elles délocalisent leur production en Europe de l’Est. De plus, en raison de la nouvelle stratégie énergétique 2050, les fournisseurs d’électricité ont retardé, voire gelé, leurs investissements. Nous nous estimons donc heureux.

Et pour l’an prochain?

Nous prévoyons une forte croissance du chiffre d’affaires de la société régionale Siemens Suisse, entre 3 et 5%.

Dans le contexte que nous connaissons?

Nous avons déjà des commandes enregistrées. Nous savons quels projets ont été repoussés. Ce sont des estimations conservatrices qui ne doivent rien au hasard. Je ne suis pas un joueur.

Vous allez devoir faire face, et avec vous l’entier de la place industrielle suisse, à de nombreux défis. Quels sont-ils?

Le processus de digitalisation inquiète encore certains patrons. Ils nous demandent où vont leurs données, comment elles peuvent être sécurisées. Nous devons donc d’abord les rassurer avant de pouvoir les convaincre. La difficulté à recruter du personnel de qualité se fait aussi de plus en plus sentir. Aujourd’hui en Suisse, il y a plus de personnes qui partent en retraite ou qui quittent l’industrie, que de personnes qui n’y commencent leur carrière. C’est un problème démographique que nous devons résoudre.

Comment?

Par la formation professionnelle, notamment. La Suisse peut profiter pleinement de la digitalisation si elle s’appuie sur des formations solides. Toutes les entreprises doivent former les apprentis de demain dont elles auront besoin et qui auront un profil très différent. Nous voulons aussi attirer les jeunes femmes en les intéressant aux métiers de l’industrie. Nous mettons en avant les possibilités de télétravail ou de temps partiel, mais cela doit passer par un changement de culture qui peut encore prendre quelques années. Comme nous ne pouvons plus engager des collaborateurs à l’étranger, nous devons donc examiner toutes les possibilités dans le pays.

En remplaçant les étrangers par les femmes?

Ça peut sembler drôle mais c’est quelque chose que l’industrie en Suisse doit avoir en tête. Les femmes pensent qu’il est compliqué de travailler dans l’industrie, mais ce temps-là a changé.

Vous parliez de digitalisation. La Suisse a-t-elle une carte à jouer?

Nous avons des universités incroyables, des formations de grande qualité. La Suisse est prédestinée à travailler avec ces nouvelles technologies, c’est pourquoi je suis très optimiste pour l’industrie. Il ne s’agit plus de faire du travail manuel, de la production industrielle classique. Celui-ci continuera à être délocalisé, ce qui pourra être automatisé le sera et pourra, dans ces conditions, survivre.

Est-ce ainsi que vous voyez l’avenir? Des usines sans ouvriers, les machines les ayant remplacées?

La moitié de ce qui est produit aujourd’hui de façon manuelle sera automatisée dans les prochaines années. Ce n’est pas Siemens qui le dit mais des rapports scientifiques. Les usines seront des lieux de hautes technologies avec beaucoup de machines intelligentes, des robots et peu d’humains mais qui seront très bien formés. Ils ne ressembleront plus du tout aux ouvriers en bleu de travail que nous connaissons.

Cela se produira quand et dans quelles proportions?

C’est difficile à prévoir. Dans cinq, dix ou vingt ans, impossible de savoir. Quant aux nombres d’emplois qui vont disparaître, c’est la même chose, difficile de les estimer.

L’industrie a toujours tenu un rôle de premier plan pour la Suisse. Est-ce terminé?

Non, elle jouera toujours un rôle primordial. Elle n’aura simplement plus le même visage.

La digitalisation va pouvoir sauver l’industrie en Suisse et en Europe?

Oui, si nous nous dépêchons de sauter dans ce train. Je vais vous donner un exemple. Nous avons pour client le constructeur d’avions Pilatus. Entre ce modèle (il désigne une maquette qui trône sur une armoire, ndlr), le PC-12, et le nouveau jet business 24, Pilatus a économisé deux ans et demi de production grâce à la digitalisation. Nous leur avons vendu un programme qui permet de construire un avion complet sur un ordinateur. Nous appelons cela un jumeau virtuel. Avant que le premier écrou ne soit tourné, il est possible de lui faire passer toutes les batteries de test, de calculer toutes les variantes possibles. Le temps d’accès au marché est ainsi considérablement réduit de même que les coûts de construction. Cet exemple prouve que l’industrie suisse peut pleinement tirer profit de cet avantage concurrentiel face à d’autres