«Sans la Genève internationale, la Suisse serait un Etat très différent»

Michael Moeller dirige l’Office des Nations unies à Genève depuis 2013. Il reçoit aujourd’hui au Victoria Hall le Prix de la Fondation pour Genève 2017 en présence d’Ivan Pictet, de Kofi Annan et des autorités suisses, cantonales et municipales. Le Danois de 64 ans, qui connaît bien la Cité de Calvin, relève les défis et les succès de la Genève internationale

Le Temps: Vous recevez le Prix de la Fondation pour Genève en votre qualité de directeur général de l’Office des Nations unies. Que représente un tel prix pour vous?

Michael Moeller: Je le vois comme une validation du travail que nous avons accompli jusqu’ici. Ce prix est le fruit d’un partenariat multiple au sein des Nations unies et à l’extérieur avec la Confédération, le canton et la ville de Genève. Ce partenariat a d’ailleurs beaucoup évolué et va bien au-delà de la simple relation entre un Etat hôte et une organisation comme l’ONU. Si ces progrès ont été possibles, c’est parce que les intérêts des Nations unies et de la Suisse convergent. Sans la Genève internationale, la Suisse serait un Etat très différent et Genève serait sans doute une ville très différente aussi.

– Bénéficiez-vous d’un soutien suffisant de Berne?

– Nous avons la chance d’avoir un soutien presque sans limites de la Suisse. C’est primordial pour pouvoir déployer notre vision et atteindre les objectifs que nous nous fixons par exemple en matière de développement durable, de climat, de réduction des risques de catastrophe, de médiation, etc. Il importe de cultiver ce partenariat. Car rien n’est acquis pour toujours.

– Avec ce prix, vous sentez-vous émotionnellement plus Genevois?

– Je me sens déjà très Genevois. C’est la quatrième fois que je suis installé à Genève. La première, c’était le 14 mars 1979, quand j’ai fait mes débuts à l’ONU au sein du Haut-Commissariat pour les réfugiés.

– Vous êtes à la tête de l’ONU Genève depuis 2013. Or les budgets se rétrécissent. L’administration Trump pourrait réduire la contribution américaine aux Nations unies. Ça vous fait peur?

– Je suis relativement serein. Le fait d’être confronté à un problème budgétaire de cette ampleur va nous forcer à mener les réformes nécessaires sans devoir sans cesse nous battre à l’interne pour des contreparties, car nous aurons tous le couteau sous la gorge. Parler d’argent est toujours délicat. Or il y a plein d’argent. Mais il va falloir convaincre tous les acteurs que seul un travail conjoint nous permettra de sauver la planète de plusieurs calamités. Quant à la menace budgétaire en provenance des Etats-Unis, il ne s’agit là que d’un facteur multiplicateur d’une tendance qui existe déjà ailleurs. Nous avons néanmoins des raisons de rester optimistes. Je vois arriver une nouvelle solidarité internationale. Prenez les discours de Xi Jinping à Davos et à l’ONU à Genève. Le président chinois a clairement mis en lumière la nouvelle politique de la Chine qui contredit le discours de fermeture et isolationniste qu’on entend partout. Les plaques tectoniques géostratégiques et géopolitiques bougent. De nouveaux partenariats vont voir le jour.

– De quelle manière le discours de Xi Jinping vous a-t-il inspiré?

– Il pousse à une prise de conscience. Nous, les Européens et les Nord-Américains, avons trop tendance à voir le monde à travers des lunettes devenues un peu trop étroites. Nos dirigeants tendent à oublier qu’il y a une Afrique, une Asie, une Amérique latine où l’on défend des visions différentes du développement. Il faut en tenir compte quand il s’agira de songer à de nouvelles structures de gouvernance.

– Vous avez participé à la Conférence sur la sécurité de Munich. Il y a été question de perdition de l’Occident. Ça vous interpelle?

– Le monde a longtemps été dominé par la philosophie occidentale qui prône la primauté de l’individu. Le modèle chinois et asiatique préconise exactement l’inverse: la primauté de la communauté. Il sera nécessaire de s’inspirer davantage du modèle asiatique si on veut sauver la planète.

– A posteriori, géreriez-vous différemment la visite de Xi Jinping à Genève? Certains observateurs pensent que l’ONU s’est couchée devant les exigences chinoises en vidant le Palais des Nations de ses employés…

– Les termes de cette visite furent le résultat de négociations menées avec les autorités chinoises. C’était la condition sine qua non pour que cet événement puisse avoir lieu. Si cela n’avait tenu qu’à moi, j’aurais fait un choix sans doute un peu différent. Mais c’est un prix minimal qu’il valait la peine de payer. Le message que Xi Jinping a fait passer à Genève est tellement important pour le multilatéralisme, pour le monde, pour la solidarité mondiale.

– Certains voient la Genève internationale comme le parfait contrepoids à la montée des autoritarismes…

– Genève est une ville de paix. Dans ces moments historiques où le monde est divisé, il a besoin d’un lieu neutre pour parlementer. Son statut de lieu de pourparlers ne cesse de se renforcer. C’est un centre opérationnel et technique. Sa valeur est incontestée. Nous sommes même victimes de notre succès. Si la Genève internationale continue de grandir, il faudra accepter qu’elle s’étende à la France voisine et à l’Arc lémanique jusqu’à Lausanne. Si les restrictions en matière d’immigration et de visas continuent aux Etats-Unis, où l’ONU a son siège, les gens choisiront de se réunir ailleurs, notamment à Genève où l’écosystème international est beaucoup plus développé qu’ailleurs.

– Depuis votre entrée en fonction en 2013, quel bilan tirez-vous de votre mandat?

– Je commencerais par l’ouverture. Dans une ville de moins de 500000 habitants, ce qui m’a toujours frappé, c’est de voir deux mondes qui ne se côtoyaient pas. Or notre légitimité dépend des citoyens qui, par leurs impôts, financent le système onusien. C’est pourquoi je suis persuadé qu’il faut changer de mode narratif. Notre impact doit être beaucoup plus visible. J’aimerais qu’à terme on puisse demander à un citoyen lambda l’impact direct de l’ONU sur sa vie personnelle et qu’il nous donne une réponse très claire. Ce travail pédagogique est peut-être ce qui explique en partie le prix que je reçois de la Fondation pour Genève. Le chantier de la restauration du Palais des Nations, dont les travaux sont sur le point de commencer, est un autre succès. En votant les crédits, l’Assemblée générale m’a demandé de trouver des modes de financement innovants afin d’alléger le fardeau global. L’entreprise a été un succès qui a dépassé nos attentes. Ces deux dernières années, nous avons levé des fonds pour près de 100 millions de francs.

(Article publié dans un cahier réalisé avec le soutien de la Fondation pour Genève) Le Temps 24 mars 2017

 

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