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Le naufrage de l’école sur AgoraVox

par axalinencele    vendredi 19 mai 2017

 

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Depuis le 19 ème siècle l'Ecole remplit trois grands rôles : l'éducation des enfants, la socialisation de ces derniers et enfin un rôle utilitaire, c'est à dire la préparation des étudiants au monde de l'entreprise. Or aujourd'hui les deux premiers piliers semblent s'effacer au profit du troisième, prenant une part de plus en plus importante.

L'école comme projection de la société.

L'école a pour but premier d'offrir au citoyen un socle de connaissance, d'inculquer des valeurs et normes communes afin de favoriser la solidarité des individus au sein d'une société et éventuellement de contribuer à la mobilité sociale. Or une analyse plus fine nous montre que l'institution scolaire n'est pas neutre et participe toujours à la légitimation du système en place.

L’État précédant la nation en France, l'école gratuite et obligatoire permet dans un premier temps de forger un esprit national et de combattre les irrédentismes régionaux (Bretons, Corses, Basques). Les instituteurs, hussards noirs pour reprendre l'expression de Charles Péguy, c'est à dire fervents partisans de la 3 ème république et de la décléricalisation, joueront alors un rôle de premier plan dans la formation de cette conscience nationale.

Cet esprit patriotique si utile et nécessaire pour envoyer des millions de citoyens se faire buter dans les tranchées soit disant pour la nation, or comme disait Anatole France « on croit mourir pour la patrie mais on meurt pour les marchands de canons ». Les médisants affirmeraient que ces instituteurs voulant de bonne foi éduquer les masses, furent également les idiots utiles des krupps, schneider et wendel...

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France demeure encore un pays fortement agricole. Le pays bascule cependant progressivement dans les services et la société de consommation qui requièrent la formation de nouveaux techniciens, cadres, ingénieurs, peu nombreux alors…C'est par conséquent dans le cadre économique d'une pénurie de main d'oeuvre qualifiée et des « 30 Glorieuses », que l'Ecole jouera un rôle important dans la mobilité sociale.

 

L'école aujourd'hui : socio-constructivisme ou construction sociale du marché ?

La stratégie de Lisbonne visait en 2000 à faire de l'union européenne le premier pôle mondial en terme d'économie de la connaissance ainsi que la plus compétitive d'ici 2020. Il faut alors déréguler le marché du travail afin d'obtenir une meilleure adéquation entre le système éducatif et les besoins de l'économie. Pour être efficient dans ce cadre, il se doit d'être bipolarisé : d'un côté le marché primaire avec des individus qualifiés bénéficiant d'une certaine stabilité (les cadres de « la dictature managériale »), de l'autre le marché secondaire concernant les travailleurs non qualifiés, voué quant à lui à la flexibilisation (développement des emplois atypiques : CDD, temps partiel….). La finalité est d'arriver à terme à une société avec 10 % de cadres et 90 % de main d'oeuvre malléables dans le cadre de la nouvelle économie.

Il faut par conséquent parallèlement rompre avec un savoir trop déconnecté du monde de l'entreprise. La création de faux besoins doit s'accompagner de la création d'un faux savoir déconscientisant les esprits. A quoi bon après tout connaître l'histoire de France, la littérature du 18 ème siècle ou bénéficier d'une culture artistique pour devenir un bon mercenaire du néolibéralisme ? A quoi ça sert affirmerait doctement un utilitariste ?

Suite au sujet de sa fille au bac es sur le rôle positif du conflit dans la cohésion sociale, Gattaz s'exclamait par exemple devant ses coreligionnaires négriers acquis à sa cause : « Comment, au XXIe siècle, peut-on encore avoir une vision de ce type, aussi caricaturale, aussi dogmatique, aussi éloignée de la réalité de nos chefs d'entreprise ?". Autrement dit il faut inculquer que l'entreprise c'est bien, la grève c'est pas bien, les patrons ben ce sont eux qui créent la valeur...Pour autant, les droits sociaux, les hausses de salaire, les congés payés, ont-ils été obtenus par le dialogue ? Une ancienne responsable du medef, légitimant autrefois le travail des enfants, lançait quant à elle récemment une pétition afin que Nathalie Arthaud ne puisse plus enseigner l'économie...

Dorénavant, selon les tenants de l'économie orthodoxe, il ne s'agit plus d'apprendre mais d'apprendre à désapprendre, d'apprendre à entreprendre ou d'entreprendre pour apprendre. C'est d'ailleurs le nom d'un programme destiné aux lycéens, visant à développer l'esprit d'entreprise. Ainsi au lieu d'étudier la philosophie ou l'histoire de l'art, on inculquera les méthodes pour « se vendre » sur le marché de l'emploi, les théories sur le capital humain, les études de marché, le marketing, la traçabilité et la vente d'un produit...
 

L'enfer étant toutefois pavé de bonnes intentions et le diable se cachant derrière la croix, il faut donner à la réforme une couleur progressiste et qualifier les opposants de réactionnaires... Le but du socio-constructivisme qui trouve sa source dans le béhaviorisme de G.Herbert Mead, est de passer d'un savoir descendant à une éducation où l'enfant élabore son savoir dans l'interaction. L'enseignant ne devient alors plus un transmetteur de connaissances mais une sorte d'animateur qui se doit de mettre en œuvre une pédagogie permettant à l'élève de relier ses connaissances à ses expériences.

Selon Bourdieu , la culture implicite valorisée par l'école (curiosité intellectuelle) est proche de celle des classes supérieures, ce qui explique les différences de réussite scolaire selon les classes sociales. Ainsi s'établit une violence symbolique exercée par les dominants sur les dominés. Dans la lignée des travaux du sociologue et selon le paradigme pédagogiste, un savoir jugé trop élitiste devient ainsi stigmatisant. Cependant combat-on les inégalités par un égalitarisme par le bas ? Les classes défavorisées n'auront donc plus accès à la véritable culture, tant pis elles se contenteront d'entertainment et d'Hanouna…Au lieu d'étudier « l'illusion comique », ils liront le texte du chanteur du même nom que l'auteur de cette pièce classique ! Une illusion de savoir donc, mais ceci n'est malheureusement pas comique !

Si les programmes des élèves sont remodelés, la réforme concerne également les concours de l'enseignement. Les épreuves de didactique à l'écrit ou à l'oral du capes s'inscrivent parfaitement dans ce mouvement de délégitimation et de désubstantialisation du savoir. (produire une « séquence »). L'érudition n'est en effet plus nécessaire, il s'agit plutôt de faire office de bon soldat, d'apprendre et réciter tel un perroquet un jargon pédagogiste débilisant (tice, référentiel ceci, apprenant, dys ceci, dys cela…). En somme de coller aux lubies des docteurs en science de l'éducation, soumis à celles des ministres, eux même soumis plus que jamais aux marchés et à la finance internationale... Celui qui peut agit, celui qui ne peut pas enseigne affirmait Georges Bernard Shaw (qui ne risque plus d'être étudié car stigmatisant, sauf peut-être au lycée de la providence d'Amiens…). On pourrait rajouter que celui qui ne sait pas enseigner, enseigne comment enseigner, et celui qui ne sait pas enseigner comment enseigner fait de la politique, d'où une spirale infernale et un problème systémique insolvable...

Ceci étant, l'enseignement de l'ignorance pour reprendre une expression de Michéa, n'empiétera pas pour autant à la sphère privée, les enfants des classes moyennes supérieures continueront à lire les mêmes livres et à fréquenter les musées… Il ne s'étendra probablement pas non plus aux enfants des pédagogistes dont certains ont eu la délicatesse d'inscrire leurs enfants dans les écoles privés ! Le gouvernement actuel du capital pour le capital et par le capital renforcera la déconstruction du savoir pour les prolétaires mais leurs progénitures eux continueront à étudier le théâtre classique et le Corneille originel... C'est le paradoxe des destructeurs du savoir, ils ont eux même bénéficié d'un enseignement de qualité leur permettant d'assurer leur hégémonie culturelle et désirent qu'elle se perpétue chez leurs descendants ! Il ne faudrait surtout pas que leurs bambins intègrent les 90 % ubérisés, sous fifres de la dictature managériale ! Mais d'un point de vue dialectique ces 90 % sont nécessaires pour que leur domination soit effective !

De plus, si le collège du quartier est jugé de piètre qualité, leurs enfants apprendront le Grec (ah non il sera supprimé, la culture antique...) afin de contourner la carte scolaire. Ces mêmes « bobos », chantres de la société ouverte et toujours prompts à qualifier de fasciste les ouvriers qui votent mal, ne souhaitant pas pour autant que leurs enfants fréquentent les établissements représentant cette même société ouverte...

Non pas que ces théories soient nécessairement à rejeter dans l'absolu mais elles sonttotalement inapplicables dans des classes surchargées avec de surcroît une grande hétérogénéité des niveaux (le redoublement étant stigmatisant, mot à la mode chez les pseudos docteurs en science de l'éducation, validant ainsi par leur idéologie les restrictions budgétaires du ministère).

Le pédagogisme sous couvert de lutte contre les discriminations, renforcera les inégalités scolaires par un égalitarisme par le bas conjugué à une déconstruction du savoir traditionnel et de la réflexion. Il apparaît néanmoins en parfaite adéquation avec les besoins du marché par la formation d'un consommateur/ producteur « ubéro-decerebré ». D'un socle commun de connaissance, nous passerons à un socle de compétence, ce dernier mutant selon les desiderata d'un marché du travail flexibilisé.

 

Les alternatives

Des pédagogies alternatives ont été développées depuis longtemps pour les parents souhaitant fuir ce grand cadavre à la renverse nommé « éducation nationale », prétentieux et persuadé de détenir le monopole du savoir légitime : Montessori, Freynet, Steiner…. Nous reviendrons également sur l'expérience originale des écoles mutuelles sous le Restauration.

Tout d'abord la pédagogie Montessori fut mise au point au début du 20 ème siècle en Italie, elle s'attache prioritairement à l'éducation sensorielle et favorise l'autonomie (dans un cadre de travail défini) et la confiance en soi chez l'enfant. Une grande place est donc allouée aux travaux artistiques et manuels ainsi qu'à la créativité. En ce qui concerne la méthode Freinet, l'apprentissage est centré sur la coopération entre les élèves et le savoir concret, soit tout le contraire du système de compétition. Enfin s'agissant de Steiner, il s'agit de recentrer l'élève sur son intériorité dans la lignée de l'anthroposophie, spiritualité selon laquelle l'accès à la connaissance illimitée est possible dans le cadre de la méditation, prétendant ainsi dépasser la dichotomie phénomène/ noumène induite par le paradigme kantien selon lequel le second n'est pas accessible.

Ces pédagogies sont intéressantes dans le cadre de groupes réduits mais par leur prix parfois prohibitifs, s'adressent aux enfants des classes supérieures et participent par conséquent à la reproduction des inégalités…

L'école mutuelle aujourd'hui complètement tombée aux oubliettes de l'histoire était quant à elle « une école de pauvre » au début du 19 ème siècle, rassemblant parfois plus de 100 élèves. Le savoir était descendant, toutefois l'instituteur ne disposait pas du monopole de l'enseignement. Les élèves ayant compris expliquent aux élèves plus lents, ainsi de suite, les différences de niveau devenant ainsi un moteur... Cette école visait à sortir les pauvres de l'analphabétisme, cependant les résultats furent supérieurs à ceux escomptés et menaçaient l'ordre établi. Certains pères du mouvement ouvriers bénéficièrent de cette éducation, Proudhon y avait été par exemple éduqué. Présentait-elle alors une menace pour l'ordre social ? Ce fut probablement ce qui motiva sa fermeture par Guizot, le même qui incitait « les gens de bien » à s'enrichir. Ivan Illich rend hommage à cette pédagogie originale dans son célèbre livre intitulé « une société sans école »

 

La solution radicale d'Ivan Illich

Pour Ivan Illich l'école n'est ni plus ni moins que la projection de la société capitaliste. Si dans cette dernière l'échange se fait plutôt sur des biens tangibles (de moins en moins avec l'économie de la connaissance), en revanche l'institution scolaire quant à elle promeut un capitalisme des biens non tangibles à travers les diplômes. Ainsi celui qui décroche le diplôme est supérieur à celui qui n'en a pas, celui qui a un doctorat par rapport à celui qui qui dispose d'un master, lui même doté d'un plus grand savoir que le licencié…. Ce système que l'école valorise, prépare les enfants aux hiérarchies de la société future. Par ailleurs elle dépossède en quelque sorte l'individu de son autonomie dans l'apprentissage en l'incitant à ne reconnaître comme savoir légitime que le savoir du maître, lui ôtant par la même occasion ses capacités réflexives. Ce dernier n'est au final que très partiel et dépend de l'idéologie en place. Or le savoir est selon lui essentiellement lié à des expériences extrascolaires. A titre personnel, je n'ai que rarement appris quelque chose d'intéressant à l'école, surtout du formatage et des idées préconçues destinées à faire de nous des bons citoyens travailleurs, se croyants libre en votant tous les 5 ans... De même que chez Michel Foucault la prison crée le délinquant ou la psychiatrie le fou, l'école crée un individu hétéronome incapable de réfléchir par lui même :

Il proposait comme solution la mise en place d'un réseau éducatif se donnant trois objectifs : celui que toute personne aspirant au savoir puisse le faire indépendamment du diplôme et à n'importe quel âge, favoriser la mutualisation de la connaissance entre les personnes désirant enseigner et ceux souhaitant en bénéficier, ainsi que donner la possibilité à tout individu porteur d'une idée nouvelle de d'exprimer sans craindre la réprobation de l'appareil idéologique d’État (l'exemple de Céline Avarez montre bien que cette condition n'est actuellement pas respectée). Si la critique du philosophe est très intéressante et un brin provocatrice, les solutions sont à mon sens un peu maigres (internet et les nouvelles technologies peuvent toutefois favoriser ce savoir en réseau)

Ainsi l'école républicaine est en plein naufrage, 140 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, 15% des adultes éprouvent des difficultés sévères à l'écrit... Il ne s'agit pas de naturaliser l'inefficacité du socio-construtivisme mais de montrer d'une part l'impossibilité de sa mise en place dans le contexte actuel de restrictions budgétaires et d'autre part les liens sous-jacents qu'il entretient avec les besoins de la nouvelle économie. Dans le futur il faudra trouver à l'instar de la nourriture bio, le moyen de démocratiser les pédagogies alternatives...

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