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"Négationnisme économique" : ce pamphlet est ignoble. C'est un appel direct à l'épuration

Publié le 10-09-2016 à 16h38 - Modifié le 11-09-2016 à 13h58

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Par Henri Sterdyniak
Économistes atterrés

LE PLUS. "Négationnisme économique. Et comment s'en débarrasser". C'est le titre musclé du livre que viennent de publier les économistes Pierre Cahuc et André Zylberberg. Un brûlot dans lequel ils s'attaquent aux économistes dits "hétérodoxes", et notamment aux Économistes atterrés. Co-animateur de ce collectif, Henri Sterdyniak leur répond.

Édité par Sébastien Billard 

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imageL'économiste Pierre Cahuc, dans son laboratoire de macroéconomie à Malakoff, le 19 janvier 2016 (V. MILIVOJEVIC/SIPA). 

 

Deux économistes, Pierre Cahuc et  André Zylberberg, viennent de commettre un pamphlet ignoble, contre tous les économistes critiques, contre ceux qui proposent aux citoyens des pistes de réflexion pour sortir de l’impasse du néo-libéralisme. Pour eux, une pensée unique doit prévaloir en économie, à laquelle tous, économistes et citoyens, doivent se soumettre.

 

Le titre – "Le négationnisme économique, et comment s'en débarrasser" – est abject, qui oublie que le négationnisme est un délit, la négation du génocide nazi, qui revient à absoudre Faurisson, Dieudonné et autres le Pen en les mettant sur le même pied que ceux qui ont montré que les 35 heures ont créé des emplois. Le sous-titre ("Comment s’en débarrasser") est un appel direct à l’épuration.

 

Il ne s’agit donc pas d’engager un débat intellectuel, mais de demander l’élimination de toute pensée critique.

 

Ces deux pamphlétaires défendent un scientisme borné

 

Ces deux pamphlétaires ont une conception tout à fait particulière de la science économique. L’économie serait devenue scientifique depuis 30 ans ; enfin, seule l’économie expérimentale basée, comme en médecine, sur des protocoles expérimentaux (comparer la situation de deux groupes, l’un soumis à la réforme que l’on veut tester, l’autre pas).

 

Certes, parfois, cette méthode peut être pertinente, mais on ne peut oublier ses limites, surtout pour les sciences sociales : elle est descriptive et pas explicative ; rien ne prouve que tous les facteurs ont été pris en compte ; elle oublie les interdépendances entre agents ; elle ne s’applique pas à l’analyse macroéconomique.

 

Mais cela ne gêne pas Cahuc et Zylberberg. Seule cette méthode serait scientifique à leurs yeux. Elle a réponse à tout et permet de clore tout débat scientifique. Ainsi, au nom de ce scientisme borné, ils épurent la science économique de toute la macroéconomie, de toute réflexion sur l’organisation économique de nos sociétés.

 

Puisqu’elle n’entre pas dans leur méthode, les deux scientifiques autoproclamés oublient tout examen sérieux de la situation actuelle : la contre-révolution néolibérale et la globalisation financière ont provoqué, dans tous les pays développés, une forte hausse des inégalités, la précarisation d’une partie de la population, une grande instabilité financière, l’accumulation des richesses financières d’un côté, des dettes de l’autre, déséquilibres qui ont explosé avec la crise financière de 2008.

 

Ils préconisent les remèdes les plus libéraux qui soient

 

Faut-il refuser d’analyser ces faits ?

 

Les Économistes atterrés se sont réunis après la crise pour mettre en évidence les déséquilibres induits par la domination de la finance, engendrant des bulles et des krachs, ce que reconnaît l’économie comportementale la plus récente (celle pratiquée par Akerlof et Shiller, deux récents titulaires du prix de sciences économiques "en l’honneur d’Alfred Nobel"), et les politiques d’austérité, dont même le FMI a fini par reconnaître le caractère néfaste après les avoir encensées.

 

Ont-ils eu à ce point tort qu’il faille les exclure de la science économique ? Cela amène miraculeusement Cahuc et Zylberberg à préconiser les remèdes les plus libéraux qui soient : baisser les coûts des bas salaires, donner toutes les libertés aux chefs d’entreprises. Pourtant, malgré ce qu’ont pu écrire les économistes libéraux, de nombreux pays introduisent maintenant des salaires minima relativement élevés (Allemagne, États-Unis, Royaume-Uni).

 

Les pays où le niveau de vie des salariés est très bas voient se développer la précarisation d’une partie importante de la population. La France doit-elle se donner comme seule stratégie, celle de développer les emplois précaires sous-payés (le SMIC étant un ennemi de l’emploi selon les auteurs), emplois qui ne correspondent pas à la formation des jeunes ?

 

Ils n’ont de cesse de refuser de voir l’évidence

 

En 1997, des économistes de la pensée dominante avaient démontré, de façon "scientifique", que le chômage en France était soit volontaire (causé par le choix des personnes de ne pas travailler en raison du niveau trop élevé du RMI), soit causé par un niveau trop fort du SMIC. Pourtant, de 1998 à 2002, la France a créé 2 millions d’emplois supplémentaires, grâce au passage aux 35 heures (qui grâce aux exonérations de cotisations sociales n’a pas augmenté le coût du travail) et à la relance de la demande.

 

Depuis cette expérience naturelle, les deux pamphlétaires n’ont de cesse que de refuser de voir l’évidence, de traiter d’obscurantistes tous ceux qui, sur la base d’analyses précises, concluent qu’environ 350.000 emplois ont été créés par le passage aux 35 heures.

 

Ces deux pseudo-scientifiques refusent de tirer les leçons de l’évolution de l’emploi. Celui-ci dépend essentiellement de la demande de consommation ou d’investissement.

 

Le chômage a fortement diminué en 1998-2002 puis 2006-2007, a fortement augmenté avec la crise financière puis les politiques d’austérité. Les réformes du marché du travail n’ont guère eu d’influence sur le volume de l’emploi, mais elles ont augmenté la précarité. Il n’a pas eu en 2002 ou en 1997 de choc contre une barrière de taux de chômage structurel, liée à un niveau trop élevé du RSA ou du SMIC. 

 

Le rôle de l’économiste n’est pas de clore le débat

 

Selon nous, il existe des choix sociaux à faire en matière d’orientation de la production et de la consommation. Ces choix sociaux doivent être démocratiquement débattus. Le rôle de l’économiste n’est pas de clore le débat au nom d’une prétendue science.

 

Faut-il faire confiance aux dirigeants des entreprises soumis aux exigences des marchés financiers, pour orienter la production de façon satisfaisante, compte tenu des contraintes écologiques ? Faut-il faire confiance, par exemple, aux banques qui ont choisi de développer leurs activités spéculatives ou, pire, le trading à haute fréquence ? À l’industrie automobile, quand elle contourne les tests de pollution ? À l’industrie agro-alimentaire, quand elle développe des produits nocifs pour  la santé publique ?

 

Contrairement à ce que prétend ce pamphlet, les économistes critiques ne préconisent pas, toujours et toujours, la hausse des dépenses publiques. Ils réfléchissent au contraire sur les réformes nécessaires : que faire face à la domination de la finance ? comment assurer un emploi pour tous ? que faire pour la transition écologique ?

 

Par contre, une politique de soutien de la demande est, lors d’une récession, nécessaire pour compenser la chute des dépenses privées et maintenir l’emploi.

 

Ils déconsidèrent ceux qui ne partagent pas leur aveuglement

 

Cahuc et Zylberberg n’hésitent pas à assimiler les économistes critiques à des scientifiques dévoyés soumis à des lobbies. Ils oublient complètement qu’une partie importante des économistes mainstream sont effectivement financés par des industriels ou par la finance.

 

Ils oublient que certains des travaux appelant à réduire toujours plus les cotisations sur le salaire minimum ont été financés par la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution ou par la Fédération professionnelle des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre opérationnelle. Ils oublient que des économistes sont financés par des assurances pour soutenir la retraite par capitalisation contre la répartition. Ils oublient le développement des chaires universitaires financées par des entreprises, des banques, des assurances.

 

Cahuc et Zylberberg croient pertinent de dénoncer les quelques interventions des économistes critiques dans les médias. Les grands médias sont aujourd’hui entre les mains de sept groupes financiers ou industriels. Ils font intervenir massivement des économistes non universitaires, qui n’ont jamais rien publié dans des revues scientifiques, à la solde des banques ou des industriels, ou des journalistes travaillant dans des journaux économiques destinés aux milieux d’affaires.

 

Cela ne gêne pas nos deux inquisiteurs. Non, ils dénoncent des interventions d’économistes universitaires, qu’ils veulent déconsidérer car ils ne partagent pas leur aveuglement scientiste. N’est-il pas triste de voir ainsi deux universitaires combattre le pluralisme des idées, et réclamer l’épuration des médias ?

« Négationnisme économique » : Pierre Cahuc et André Zylberberg répondent à la polémique

Pierre Cahuc / professeur à l’Ensae CREST et à l’Ecole polytechniqueAndre Zylberberg / directeur de recherche émérite au CNRS et à l’Ecole d’économie de Paris Le 13/09/2016 à 11:11Mis à jour à 12:18

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économistes Pierre Cahuc (à gauche), membre centre recherche économie statistique (Crest) André Zylberberg, directeur recherche CNRS

économistes Pierre Cahuc (à gauche), membre du centre de recherche en économie et statistique (Crest) et André Zylberberg, directeur de recherche au CNRS - Bruno LEVY/CHALLENGES-REA

Durement attaqués par une partie de « l’intelligentsia » économique sur la thèse défendue dans leur livre, celle d’une économie de plus en plus « scientifique », les auteurs rétablissent ici quelques vérités.

Notre ouvrage récemment publié, « Le négationnisme économique et comment s'en débarrasser » , suscite de nombreuses réactions et commentaires dont beaucoup déforment notre propos, et minent sa crédibilité. Ainsi, selon certains, nous soutiendrions que l'économie est devenue une science exacte, donc peu susceptible d'être contestée ! Nous sommes bien évidemment d'accord avec Jean-Hervé Lorenzi pour dire qu'une telle affirmation est « triviale et naïve » ; et avec Jean-Noël Giraud qu'elle est « épistémologiquement inculte ».

Mais cette affirmation est aux antipodes de ce que nous disons. Nous soutenons simplement que, dans tous les domaines, faire confiance à une communauté constituée de milliers de chercheurs reste la meilleure option pour avoir une opinion éclairée sur les sujets que nous ne connaissons pas. C'est néanmoins une forme de pari, car même si la science constitue le moyen le plus fiable de produire des connaissances, elle peut se tromper. Mais douter systématiquement des résultats obtenus par les scientifiques spécialistes de la question posée et préférer se fier à des experts auto-proclamés, est bien plus risqué. Lorsque les résultats reposent sur des données chiffrées, ces dernières doivent être disponibles afin que d'autres chercheurs puissent en vérifier la validité.

La connaissance scientifique, une oeuvre collective

L'élaboration du savoir est une oeuvre collective où chaque chercheur produit des résultats dont la robustesse est testée par d'autres chercheurs. La « connaissance scientifique » est la photographie de cette oeuvre collective à un moment donné. C'est l'image la plus fiable de ce que nous savons sur l'état du monde. Cette image n'est pas fixe, elle est même en constante évolution.

Le négationnisme économique consiste à nier ces résultats.

Dans tous les domaines scientifiques, un consensus se dégage lorsque plusieurs articles publiés dans les meilleures revues aboutissent à des résultats convergents. Ainsi, lorsqu'aucune étude empirique sur la réduction de la durée légale ou conventionnelle du travail (hors abaissement de charges) ne trouve d'effet positif sur l'emploi, rien ne permet d'affirmer que réduire la durée du travail puisse créer des emplois... tant qu'aucune étude publiée ne trouve le contraire.

Le négationnisme économique consiste à nier ces résultats en affirmant qu'ils procèdent d'une pensée unique guidée par l'ignorance du monde réel ou par une conspiration. Bien évidemment, sur de nombreux sujets, les études disponibles ne permettent pas de dégager des résultats convergents. Il est donc difficile, pour un non spécialiste, de se repérer dans ce dédale.

S'adresser à des chercheurs neutres

La meilleure façon d'accéder à l'état de la connaissance est de s'adresser aux chercheurs spécialistes du sujet, en vérifiant au préalable qu'il n'y a pas de conflit d'intérêt ou d'appartenance à des courants politiques qui pourraient nuire à leur objectivité. Ce constat vaut pour toutes les disciplines. Ainsi, pour comprendre le réchauffement climatique, il vaut mieux inviter deux chercheurs compétents sans engagement politique et conflit d'intérêt plutôt qu'opposer un climato-sceptique à un écologiste.

Des chercheurs neutres sont mieux à même de porter un constat sur l'existence d'un consensus et de débattre le cas échéant de sa portée, que deux contradicteurs incités à défendre des idées motivées par l'idéologie ou par des intérêts personnels. Il ne s'agit donc pas d'empêcher le débat, bien au contraire. Mais pour organiser des débats informatifs en économie, les médias seraient bien inspirés d'abandonner la recherche d'une confrontation politique, le plus souvent présentée comme un affrontement entre des courants de pensées.

Cela perpétue l'idée que l'économie est toujours une question d'opinion. Ils devraient plutôt faire appel aux meilleurs spécialistes, sans position partisane affichée, dénués de conflits d'intérêt, en puisant par exemple dans la base de données IDEAS qui classe plus de 800 chercheurs travaillant en France.

Pierre Cahuc est professeur à l'Ecole polytechnique. André Zylberberg est directeur de recherche émérite au CNRS, membre du Centre d'économie de la Sorbonne et de l'Ecole d'économie de Paris. Ils sont les auteurs du livre « Le Négationnisme économique » (Flammarion)


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